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Droit à l’interruption volontaire de grossesse : perspectives française et américaine

Droit à l’interruption volontaire de grossesse : perspectives française et américaine

La fête de la Rose le 17 septembre prochain démarrera par un Atelier législatif citoyen (ALC) relatif au droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Dans cette perspective, je me suis entretenue cette semaine avec la constitutionnaliste Stéphanie Hennette-Vauchez et la chercheuse américaine Julie Suk, toutes deux spécialistes du sujet, en vue du dépôt d’une proposition de loi constitutionnalisant les droits procréatifs. 

L’arrêt Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization de la Cour suprême des Etats-Unis du 24 juin 2022, remettant en cause le droit à l’avortement, a provoqué une onde de choc dans le monde. Toutefois, la régression de ce droit n’est pas spécifique aux Etats-Unis, elle s’opère également depuis plusieurs années dans de nombreux pays européens, alors qu’une femme sur trois connait dans sa vie une interruption de grossesse

L’Espagne a voulu circonscrire le droit à l’avortement en 2013 avant que le projet ne soit finalement abandonné. Le Portugal en 2015 a décidé le déremboursement de l’IVG et imposé aux femmes un suivi psychologique. La Pologne a presque totalement interdit ce droit en 2020. Le Conseil de l’Europe s’alarmait en 2017 des évolutions législatives des Etats restreignant progressivement l’accès à l’avortement et à la contraception. En 2020, une déclaration commune de 33 pays s’était clairement positionnée contre le droit à l’IVG. 

Si le droit français continue de protéger le recours à l’IVG, le récent débat sur l’allongement du délai de 12 à 14 semaines atteste de la sensibilité de la question. La loi a été promulguée en mars dernier mais à l’issue de débats montrant de fortes réticences. 

Analyse de l’évolution du droit en France et aux Etats-Unis

Considérée comme un « crime contre l’Etat » dès 1942 sous le régime de Vichy, la question de l’IVG est progressivement entrée dans le débat sociétal après mai 68, avec le manifeste des 343 appelant à la légalisation de l’avortement en 1971 et le procès Bobigny en 1972, qui poussera le législateur à adopter la loi Veil en 1974, dépénalisant et encadrant légalement l’IVG à titre expérimental avant d’être confirmée par la loi du 31 décembre 1979. Son accès sera progressivement ouvert avec le remboursement à partir de 1983, puis la prise en charge à 100% par l’Assurance maladie dès 2016. L’allongement du délai et la fin de l’autorisation parentale pour les mineures sont adoptés en 2001, le délit d’entrave créé en 1993 est renforcé en 2017 et en 2022, le délai de recours à l’IVG passe de 12 à 14 semaines de grossesse. 

Gisèle Halimi
Gisèle Halimi, aux côtés de l'actrice Delphine Seyrig, le 11 octobre 1972 lors du procès de Marie-Claire Chevalier, au tribunal de Bobigny.

La même année, la Cour suprême des Etats-Unis dans son arrêt Dobbs, a révoqué l’arrêt Roe v. Wade de 1973, statuant que la Constitution fédérale ne conférait pas le droit à l’avortement et laissant désormais les Etats fédérés libres de le réglementer, voire de l’interdire. Aucune disposition de la Constitution américaine ne protège l’avortement. L’arrêt de 1973 est le résultat de l’interprétation de la Constitution par les juges de la Cour suprême, alors majoritairement démocrates. Ledit arrêt repose toutefois sur des bases juridiques très fragiles, les juges s’étant reposés sur la 14ème amendement du Bill of Rights qui garantit le droit à la liberté, duquel découle le droit à la vie privée, qui fonde le droit de la femme de choisir de mettre un terme à sa grossesse durant les trois premiers mois. 

Cependant, la nomination de trois juges pendant le mandat de Donald Trump a renversé la jurisprudence de la Cour suprême, laquelle désormais composée majoritairement de magistrats conservateurs, interprète la Constitution de manière originaliste, c’est-à-dire en suivant l’intention première de constituant ayant rédigé la Constitution en 1787. Concrétisant les revendications des mouvements anti-IVG formés dans les années 80 en réaction à l’interprétation progressiste de la Cour suprême, l’arrêt du 24 juin dernier, ramène les citoyennes américaines à la situation antérieure à 1973 où chaque Etat était compétent sur la question de l’avortement. 

Que ce soit aux Etats-Unis ou en Europe, les avancées obtenues de haute lutte pour le droit de la femme à disposer d’elle-même dès les années 1970 s’évaporent, parallèlement à la remise en cause de l’Etat de droit et des libertés fondamentales depuis plusieurs années. La crise de la démocratie libérale emporte avec elle les droits des femmes et des minorités sexuelles. 

Les conséquences de l’arrêt Dobbs 

Depuis l’arrêt du 24 juin 2022, 13 Etats ont ou sont en passe de faire entrer en vigueur les triggers laws, dites « lois dormantes », à savoir des lois votées en prévision de l’annulation de l’arrêt Roe v wade et qui étaient auparavant inapplicables. Selon les Etats, ces lois interdisent ou restreignant drastiquement l’accès à l’avortement, sans exception pour les cas de viol et d’inceste dans certains Etats et avec un manque de clarté dans certains cas en ce qui concerne l’avortement pour raison de santé de la mère. En aout 2022, une américaine sur trois déjà n’a plus accès à l’avortement. Selon le Center for Reproductive Rights, environ la moitié des Etats pourraient interdire prochainement l’IVG, soit 58% des femmes en âge de procréer qui serait privées de ce droit. 

Reculer sur le droit à l’IVG met la santé des femmes en danger, ces dernières étant contraintes d’avorter clandestinement dans des conditions d’hygiène déplorables, alors que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et les Nations unies (ONU) recommandent que l’acte soit pratiqué sans danger. Pourtant, une femme meurt toutes les neuf minutes d'un avortement clandestin. Le Mississipi, Etat hostile à l’IVG, est aussi l’Etat où la mortalité infantile et maternelle est la plus élevée du pays. 

Par ailleurs, les inégalités sociales et les discriminations vont se creuser. Selon le Guttmacher Institute, les trois quarts des IVG pratiqués aux USA concernent des Américaines de classe sociale défavorisée. Or, les femmes les plus précaires sont aussi celles appartenant à des minorités ethniques. Les femmes devront parcourir de longues distances pour pouvoir avorter, limitant fortement l’accessibilité de l’acte médical pour les plus démunies. 

Alors qu’aux Etats-Unis, les règles strictes d’amendement de la Constitution rendent impossible la modification de la Constitution sur le sujet de l’avortement, le droit des femmes à disposer d’elles-mêmes dépendent de la composition de la Cour suprême. En France, la modification de la Constitution, bien que soumise à des règles précises, n’est pas aussi limitée et la Conseil constitutionnel ne revêt pas un rôle aussi prépondérant que celui la Cour suprême. 

De la nécessité de constitutionnaliser les droits procréatifs en France

Le retour à la pénalisation, voire à la criminalisation de l’avortement atteste qu’aucune femme d’aucun pays de peut se considérer à l’abri d’idéologies foncièrement conservatrices niant leur droit à disposer d’elles-mêmes. Les récents exemples l’attestent. Il est donc nécessaire aujourd’hui d’inscrire dans la Constitution la protection des droits procréatifs.  La norme suprême doit constituer un rempart à toute initiative d’une majorité politique visant à revenir sur les libertés acquises. 

julie suk
Echanges avec Julie Suk, chercheuse américaine à la Fordham University à New York, spécialisée dans les droits des femmes et le constitutionnalisme inclusif.

Seul le principe de l’autonomie personnelle, à savoir le droit de disposer de soi et de faire ses choix pour soi-même, doit fonder la garantie d’accès aux droits procréatifs. Seule la femme est en capacité de savoir si elle peut ou veut devenir mère, car être mère ne se résume pas à porter un enfant pendant neuf mois mais signifie l’accompagner tout au long de sa vie. Interdire ou restreindre la contraception et l’IVG revient à décider pour la femme et à lui laisser porter seule les conséquences. 

Toutefois, constitutionnaliser ce droit ne sera suivi que de peu d’effet si l’effectivité de l’accès n’est pas assurée, ce qui à ce jour n’est pas le cas. Le gynécologue-obstétricien Philippe Faucher et l'ancienne présidente nationale du Planning familial, Véronique Sehier nous en parleront lors de l'ALC à Frangy le 17 septembre prochain.

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