Commission d’enquête sur l’indépendance de la justice

Commission d’enquête sur l’indépendance  de la justice

La commission d’enquête sur les obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire nous a permis de mesurer une fois encore la puissance et la fragilité du système judiciaire français. Une fragilité qui s’explique d’abord par un budget très insuffisant dont l’augmentation ces dernières années, est sans effet lisible, par des procédures qui ne cessent de changer et de renforcer les prérogatives du Parquet et ses moyens d’enquête et enfin, par la médiatisation d’affaires politico-financières sur fond de soupçon d’intervention du pouvoir politique en place

Les recommandations proposées par le rapporteur sont largement partagées. Je ferai les observations suivantes : 

- Un budget à la hauteur des enjeux : L’indépendance de l’institution implique des moyens budgétaires suffisants. Il ne peut être question d’indépendance si le service public de la justice ne peut garantir un égal accès à tous, une défense facilement mobilisée, en particulier pour les plus modestes mais aussi les classes moyennes, des délais de jugement compatibles avec les attentes des justiciables et une qualité attendue d’expertise.

L’effort financier qui s’impose doit s’accompagner de plus de précisions dans l’analyse des flux des affaires traitées par les tribunaux et une responsabilité identifiée des juges comme de l’ensemble des professionnels de la justice.

 Il revient enfin à la justice de s’organiser de manière autonome. Il n’appartient pas au garde des Sceaux, comme cela a été dénoncé dernièrement, de soumettre au cabinet du Premier ministre, qui plus est en toute discrétion avant les élections municipales, les choix de construction ou de transfert de compétences intéressant certains tribunaux.

- Limiter dans le temps l’enquête préliminaire :

L’enquête préliminaire, prolongée de plus en plus souvent, traduit un attachement du Parquet à conserver l’entièreté du pouvoir alors que l’information judiciaire qui ouvre le contradictoire est de moins en moins fréquente. Un juge de l’enquête doit être créé, à même de recueillir les demandes des parties et  de décider de la prolongation d’une enquête, passé un certain délai.

-Introduire les droits de la défense au cœur de l’enquête préliminaire. Il est de plus en plus difficile d’admettre que le citoyen ne connaisse rien du dossier qui l’accuse. Il n’est pas tolérable que la décision de mesures d’instruction intrusives, « pour les besoins de l’enquête (ou de l’instruction) », attentatoires à la vie privée d’une des parties, et souvent à charge, ne puisse faire l’objet d’un débat contradictoire.

-Encadrer dans le temps la phase de jugement. Des délais anormalement longs, de plusieurs années, confortent l’idée de pressions exercées par le pouvoir en place pour ne pas « faire sortir » les affaires.

-Respecter le secret de l’instruction. Sa transgression régulière donne une image désastreuse d’une justice qui ne maitrise pas ses dossiers et ne protège pas les justiciables. La Justice doit faire respecter le secret de l’instruction, enquêter systématiquement et s’exprimer tant dans la presse qu’auprès des parties, en cas de transgression.

-Préciser le statut juridique des « remontée d’informations » du Parquet général au garde des Sceaux. Ces remontées d’information sont une nécessité politique. Le ministre de la Justice ne peut se contenter d’être informé par voie de presse. En revanche, lesdits documents doivent avoir un statut et un cheminement identifié jusqu’à leur destruction. Les conditions dans lesquelles ils sont transmis au garde des Sceaux et l’usage qu’il peut en faire, doivent être précisés.

-Réformer la nomination des membres du Parquet : il s’agit d’une institution hiérarchisée, qui place le Procureur sous l’autorité du Procureur général et le PG en lien hiérarchique avec le GDS s’agissant de l’application de la politique pénale. Le Parquet est considéré affaibli par « une culture de soumission » à la chancellerie. Cette situation fait que beaucoup de professionnels et/ou de personnalités politiques considèrent que la séparation Parquet/Siège serait garante de l’indépendance de la justice.

La nomination des juges du siège et des magistrats du parquet doit évidemment obéir à la même règle procédurale de l’avis conforme émis par le  Conseil supérieur de la magistrature. Cet avis doit être prononcé à l’issue de l’examen par le CSM de l’ensemble des candidatures potentielles ou exprimées et non sur les seules propositions qui seraient faites par le GDS. Le pouvoir disciplinaire exercé par le CSM doit l’être tant pour les membres du siège que ceux du parquet.

-Le CSM doit être revu dans sa composition, notamment s’agissant de la surreprésentation de la hiérarchie judiciaire, ainsi que l’a fait valoir l’ancien juge Van Ruymbeke, lors de son audition.

-Enfin, la politique pénale définie par le Gouvernement, doit être présentée au parlement et faire l’objet d’un débat.

En conclusion de ces quelques observations, rappelons que ce sont essentiellement les affaires pénales politico-financières qui ont retenu l’attention de la commission d’enquête. Cela ne doit pas nous faire oublier que l’indépendance de la justice et son impartialité doivent être interrogées dans les affaires intéressant le quotidien des citoyens. L’impartialité objective et subjective du juge est questionnée avec les déclarations d’intérêt et les entretiens déontologiques obligatoires depuis 2016 et dont l’utilité n’est pas contestée. Sans doute, le citoyen demandera-t-il dans un proche avenir à mieux connaître son juge. Ces déclarations d’intérêt, actuellement non publiques, ne pourront pas rester longtemps dans la seule main de l’institution judiciaire. Et, c’est d’ailleurs dans un tel contexte de publicité des déclarations d’intérêt que la proposition n° 11 du rapporteur, de rendre irrecevables des plaintes déposées par les justiciables devant le CSM pour un motif d’impartialité, pourrait me semble-t-il prospérer.  

La justice commerciale, les prud’hommes, la justice des pauvres dont parle Pierre Joxe doivent aussi être interrogées par ces préoccupations. La responsabilité du juge dont il a été peu question ici, comme l’exigence qui entoure son office dès lors qu’il est source de droit, sont indissociables de celles de l’indépendance et de l’impartialité qui nous ont préoccupés dans le cadre de cette enquête.

Il me reste à remercier le président Ugo Bernalicis et le rapporteur Didier Paris  pour leur souci constant de partager une réflexion apaisée sur un sujet fortement médiatisé. Ce rapport d’enquête constitue une contribution solide à l’œuvre de justice.

Je n’oublie pas dans ces remerciements l’équipe des administratrices et administrateurs de l’Assemblée nationale et bien évidemment les personnes auditionnées qui ont nourri notre travail.

Cécile Untermaier

Le 4 août 2020.

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