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Crimes sexuels dans l'Eglise catholique : échanges avec l'évêque d'Autun sur le rapport issu de la commission des Lois

Crimes sexuels dans l'Eglise catholique : échanges avec l'évêque d'Autun sur le rapport issu de la commission des Lois

Mercredi dernier à Saint-Désert, j'ai échangé avec Monseigneur Rivière, évêque d'Autun, sur les conclusions du groupe de travail sur les suites législatives à donner au rapport Sauvé, créé en commission des Lois à l'automne dernier.

Ce groupe de travail est consécutif à la publication en octobre dernier d’un rapport terrifiant sur les crimes sexuels dans l’Eglise catholique, et plus généralement dans la société, et à l’audition du président de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Eglise (CIASE), Jean-Marc Sauvé. Cette audition nous a permis de mesurer à la fois l’intelligence et le cœur qu’il fallait pour aller au fond d’une question aussi difficile et douloureuse que celle des enfants victimes.

Le rapport Sauvé, qui a réuni une vingtaine d'experts de haut niveau dans plusieurs disciplines (psychiatrie, sociologie, histoire, médecine, droit), est une demande des évêques catholiques de France pour les aider à comprendre l'ampleur du phénomène de 1950 à 2020, ses causes majeures mais aussi de formuler des recommandations. C’est là le signe de l’entrée dans une volonté de réparation et de sortir de la culture du silence.

Pour rappel, quelques chiffres clés du rapport (1950-2020) : 

  • 5 millions et demi de personnes victimes tous milieux confondus
  • 216 000 victimes d’abus sexuel par des clercs et 330 000 si l’on inclut les victimes de laïcs liés à l’Eglise catholique (catéchistes, encadrants scolaires etc)
  • Sur 70 ans : environ 3 000 prêtres prédateurs sexuels
  • Le nombre de victimes mineures dans le milieu clérical est 2 fois supérieur aux autres milieux sociaux : écoles publiques hors internat, colonies de vacances, sport… Mais le milieu familial reste celui dans lequel les crimes sexuels sur enfants sont les plus nombreux.

La polémique autour de la méthodologie utilisée pour recenser les victimes a été éteinte par des explications complètes données par Jean-Marc Sauvé à l’Académie catholique. Peu importe d’ailleurs les chiffres dès lors que la situation est identifiée dans sa gravité. 

Le rapport a formulé 45 recommandations, dont 12 relevant potentiellement du domaine de la loi. C’était là l’objet du groupe de travail dont je suis membre et qui a rendu son rapport le 16 février dernier. J'ai donc échangé sur les deux axes identifiés par le rapport avec Monseigneur Rivière, qui a tenu à saluer la prise en considération par l'Eglise et les législateurs des propositions du rapport Sauvé, et a rappelé que l'Eglise a reconnu sa responsabilité morale, ce qui est un premier pas dans la rupture de la culture du silence.

→ « Guérir » par la reconnaissance et la « réparation » des préjudices subis, via une justice restaurative.

Bien que la resposnabilité pénale de l’auteur d’une agression s’applique en théorie, dans la pratique, le décès de l’auteur ou la prescription sont souvent opposés aux victimes. La responsabilité civile de l’institution pourrait être engagée comme le suggère la CIASE sur la base de la responsabilité des commettants du fait de leurs préposés. Mais il faudrait lever l’incertitude de la nature juridique du lien entre un prêtre et son évêque (recommandation 1). 

Aussi, là où le droit commun ne peut agir, l’Eglise de France s’engage dans une justice restaurative, sur le fondement d'une responsabilité "institutionnelle", suivant l’idée qu’une offense faite à une personne frappe l’ensemble de la collectivité. Cette justice se basera sur la vraissemblance des faits, c'est-à-dire sur un faisceau d'indices suffisants et cohérents.

Il ne s’agit pas de la substituer à la justice civile et pénale mais de la compléter, en prévoyant une réparation pécuniaire et extra monétaire : reconnaissance du statut de victime, explication de la faute, restauration des capacités de dialogue. En effet, cette justice est beaucoup plus large qu'une "simple" indemnisation. Cette justice pourra s’appliquer malgré le décès de l’auteur des faits ou la prescription. 20 millions d'euros sont déjà levés par l’Eglise en 2022 dans ce cadre.

Cette justice devra obéir néanmoins à des règles bien identifiées et sérieuses dans l’analyse, de sorte que la présomption d'innocence soit toujours au rendez-vous.

Par ailleurs, d’un point de vue pratique, les dispositifs d’indemnisation mis en place par l’Eglise devront être clarifiés. Deux propositions ont été faites par le groupe de travail concernant le SELAM (Fonds de solidarité et de lutte contre les agressions sexuelles sur mineurs) mis en place dès avril 2021 par le clergé séculier : 

  • Exclure par principe le bénéfice d’une réduction d’impôt au profit des donateurs car dans le cas contraire, c’est toute la société indirectement qui contribuerait à l’indemnisation. (recommandation 3)
  • Sur la nature des sommes versées aux victimes : il doit s'agir d'une indemnité qui n'a pas à être fiscalisée.

→ « Prévenir » ces drames personnels et collectifs par des modifications ponctuelles du droit pénal. 

S'agissant de la confession qui relève du secret professionnel, elle ne peut selon moi déroger à l'obligation prévue par le code pénal de signaler aux autorités judiciaires et administratives les cas de violences sexuelles.

Monseigneur Rivière a plaidé pourune grande prudence du législateur dans la levée du secret professionnel de la confession pour les adultes, mais propose une exception pour les enfants en les incitant à révéler les faits et si ces derniers ne le font pas, à les signaler pour eux. Il a été rappelé que créer une brèche dans le principe de la confession faisait courir le risque de ne plus voir les pratiquants se confesser.

Elargir les consultations du bulletin n° 2 du casier judiciaire des personnes volontaires accompagnant certaines activités auprès des mineurs tout en étant extérieures à la structure d’accueil, ainsi que les consultations du FIJAIS (fichiers des auteurs d’infractions sexuelles) pour les ministres du culte et les laïcs en mission pour l’Eglise. 

Généraliser les protocoles entre parquets et diocèses incluant un engagement des diocèses à transmettre les signalements et un engagement des parquets à diligenter les enquêtes rapidement. Actuellement entre 20 et 30 diocèses le font sur l’ensemble des 98 diocèses. 

La conclusion du rapport, en ce qu’elle appelle à une action massive pérenne de l'Etat autour de l’enfance rejoint la proposition de résolution que j’ai déposée sur la protection de l’enfance avec d'autres parlementaires, dans la suite des travaux de la CIASE et de la CIIVISE.

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