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Adoption à l’unanimité de ma proposition de loi renforçant l’ordonnance de protection pour les victimes de violences intrafamiliales

Adoption à l’unanimité de ma proposition de loi renforçant l’ordonnance de protection pour les victimes de violences intrafamiliales

La commission des Lois a examiné mercredi dernier ma proposition de loi renforçant l’ordonnance de protection et l’a adoptée à l’unanimité.

Pour rappel, ce texte visait à :

- Faciliter la délivrance de l’ordonnance de protection, en supprimant pour le juge aux affaires familiales l’obligation d’apprécier la notion de danger et en conservant uniquement l’appréciation des violences vraisemblables. Il s’agit de considérer que dès lors qu’il y a violence et que la victime se présente devant le juge, la question du danger, après débat contradictoire, n'a plus à se poser. Aucune violence n'est anodine et toutes méritent une protection.

- Doubler la durée maximale de l’ordonnance protection de 6 à 12 mois. 

L’objectif du texte est de protéger plus et mieux grâce à des solutions de droit simple, facilitant l’office du juge, et permettant davantage d’apaisement chez les victimes. 

Mon intervention en tant que rapporteure : 

"Monsieur le Président,

Mes chers collègues,

L’ordonnance de protection est une procédure d’urgence qui permet au juge aux affaires familiales de prendre toute une série de mesures dans un délai très rapide lorsqu’il est confronté à une situation de violences conjugales. Parmi ces mesures, citons l’interdiction de contact, l’interdiction de paraître, mais aussi la possibilité pour la partie demanderesse de dissimuler sa domiciliation. Le juge peut également statuer sur les modalités de l’exercice de l’autorité parentale et prononcer l’éviction forcée du conjoint violent. 

C’est, dans la panoplie judiciaire, la première étape pour une victime qui souhaite se séparer d’un conjoint violent. Ces mesures doivent lui permettre d’organiser au mieux cette séparation tout en étant protégée. Les ordonnances sont aussi demandées après la séparation, lorsque le conjoint l’accepte mal par exemple.  

Cette ordonnance est un bel outil, mais qui est loin de donner entièrement satisfaction. 

On vous dira que les chiffres progressent. + 129 % du nombre de demandes accordées entre 2015 et 2021. 

Mais lorsqu’on part de très bas, une augmentation de 129 %, c’est toujours largement insuffisant. Il faut s’intéresser aux chiffres en valeur absolue. Le nombre de demandes d’ordonnances de protection acceptées en 2021 étaient de 3 852. 

Ce chiffre est dérisoire, lorsque vous le mettez en balance avec le nombre de personnes qui se sont déclarées victimes de violences par un partenaire ou ex-partenaire en 2021 : plus de 208 000 personnes.  

Il est dérisoire lorsque vous comparez à celui de l’Espagne : en 2020, 25 289 ordonnances de protection ont été délivrées. 

Enfin, il est dérisoire lorsqu’on reprend les chiffres de l’année 2021 : 

- 122 femmes tuées par leur conjoint ou ex-conjoint ; 

- 684 victimes ayant tenté de se suicider ou s’étant suicidé suite au harcèlement de leur (ex-)partenaire ; 

- 190 tentatives de féminicides. 

C’est ce constat qui m’a conduit à déposer cette proposition de loi qui modifie les conditions de délivrance de l’ordonnance de protection.  

*

L’article 1er reprend une préconisation du comité national de l’ordonnance de protection, le CNOP. Ce comité a été instauré par la ministre de la Justice en 2020 pour augmenter le nombre de demandes d’ordonnances, et le nombre d’ordonnances de protection délivrées. 

Ce comité a publié un premier rapport d’activité en juin 2021 avec un certain nombre de recommandations. L’une de ces recommandations est de retirer la notion de « danger » de la loi. 

En effet, l’article 515-11 du code civil prévoit aujourd’hui que le juge aux affaires familiales délivre une ordonnance de protection « s’il estime […] qu’il existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables la commission des faits de violence allégués et le danger auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés ».  

Or, une étude menée par une magistrate honoraire membre du CNOP montre que la notion de danger complexifie la décision à rendre par le juge. Elle conduit les magistrats à opérer une hiérarchisation dans les violences, en distinguant celles qui sont sources de danger, et celles qui ne sont pas sources de danger. Les magistrats vont notamment s’appuyer sur la fréquence et l’ancienneté des violences pour déterminer si le danger existe, alors même qu’ils ont constaté des violences vraisemblables.  

Or, peut-on envisager des violences qui ne mettent pas en danger la personne qui les subit ? Je crois au contraire que toutes les violences participent à mettre en danger celles qui les subissent, et que toutes les victimes de violences méritent d’être protégées. 

Cette conviction est étayée par le guide pratique de l’ordonnance de protection publié par la direction des affaires civiles et du sceau, qui dit explicitement dans ses fiches pratiques à destination des magistrats : « la violence « vraisemblable » constitue un danger en tant que tel ». 

J’ai longuement échangé avec la présidente du CNOP, Ernestine Ronai, et je suis convaincue du bien-fondé de cette préconisation. 

En conséquence, l’article 1er retire de l’article 515-11 du code civil la notion de danger, considérant qu’elle est en réalité inhérente à la reconnaissance de violences vraisemblables.  

Il m’a été opposé une décision de la Cour de cassation datée du 16 septembre 2021. Dans cette décision, la Cour n’a pas procédé au renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité qui invoquait l’atteinte au principe de la présomption d’innocence faite par l’ordonnance de protection. Elle considérait que la question ne présentait pas de caractère sérieux car les mesures prises par le juge reposait non sur la culpabilité mais sur l’appréciation de la potentielle dangerosité de la partie défenderesse.

Je considère que la procédure apporte des garanties suffisantes à la partie défenderesse – décision d’un juge après un débat contradictoire, mesures provisoires –et qu’il est clair, même en l’absence de la mention explicite de danger, que le juge ne se prononce pas sur une culpabilité mais sur un risque potentiel. 

L’objectif de cet article 1er est de lever un obstacle à la délivrance de l’ordonnance de protection, obstacle dont les associations se font l’écho et qui compliquent le travail des magistrats.  

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Cet article 1er est complété par l’article 2, qui modifie la durée maximale des mesures prises dans le cadre d’une ordonnance. Aujourd’hui, ces mesures le sont pour une durée de six mois. L’article 2, qui reprend une proposition de la ministre Laurence Rossignol au Sénat, allonge ces délais à un an. Cela part d’une conviction : six mois, c’est très court pour organiser une séparation et repartir sur de nouvelles bases. Je crois qu’il est intéressant de laisser une plus grande marge de manœuvre au juge et de lui laisser la possibilité, lorsqu’il estime que cela est nécessaire, de prendre des mesures pour une année entière.  

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Cette proposition de loi s’inscrit dans la lignée des propositions de loi précédentes, et je veux saluer ici le travail de mes collègues sur le sujet. La proposition de loi d’Aurélien Pradié de 2019 a permis de grandes avancées, notamment en ce qui concerne l’ordonnance de protection. C’est cette loi qui a encadré les délais de délivrance de l’ordonnance, en les passant à six jours. C’est également cette loi qui a inscrit noir sur blanc que le dépôt d’une plainte préalable n’était pas nécessaire pour délivrer une ordonnance, après avoir constaté dans les juridictions que la pratique différait de l’esprit de la loi. 

La loi du 20 juillet 2020 a également permis des avancées, notamment en matière de levée du secret médical pour les victimes de violences conjugales. 

En aucun cas je ne souhaite que le législateur force la main du juge. C’est même l’inverse : je suis convaincue que sur ce sujet, il faut faire confiance au magistrat pour apprécier la situation et prendre les mesures adaptées. 

Je vous remercie. "

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Une dizaine d’amendements a été examinée et un a été adopté. Ce dernier, plutôt qu’une suppression de la notion de danger, comme prévu par le texte initial, prévoit que le juge aux affaires familiales délivre une ordonnance de protection dès lors qu’il estime comme vraisemblables les violences exposant la victime ou un ou plusieurs enfants à un potentiel danger. 

Cet amendement, justifié selon ses auteurs par un risque d’inconstitutionnalité et d’instrumentalisation du texte initial, assouplit ainsi la caractérisation du danger qui doit être désormais potentiel et rapproche davantage l’appréciation du danger à celle de la violence. 

Je considère pour ma part, et cette opinion était également partagée par bon nombre de mes collègues, que bien que l’amendement assouplit la double conditionnalité violence/ danger actuellement prévue par le code civil, conserver la notion de danger revient à hiérarchiser les violences « dangereuses » et « non dangereuses ». Existe-t-il des violences non dangereuses ? Je ne le pense pas. Toutes méritent une protection, à raison du continuum des violences.

Malgré la réduction de la portée de l’article 1er, ce texte constitue une avancée compte tenu du droit actuel. La durée de la protection est doublée et le texte conforte désormais le caractère vraisemblable de la violence pour délivrer une ordonnance visant à protéger la victime d’un danger potentiel et imprévisible.

L’objectif  est ainsi d’encourager le juge, à appliquer plus facilement un principe de précaution, et considérer que dès lors qu’il y a violence,  il y a danger, et donc nécessité de protéger. Il faudra espérer que nombreux seront les juges à considérer que la violence emporte nécessairement le danger potentiel et que les ordonnances de protection seront davantage délivrées. 

Le texte fera l’objet d’un vote sans débat et sans amendement en séance publique jeudi prochain, dans le cadre de la niche parlementaire du groupe.

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