Rapport de la commission d’enquête sur l’indépendance du pouvoir judiciaire

Rapport de la commission d’enquête sur l’indépendance du pouvoir judiciaire

Je suis intervenue jeudi à l'Assemblée nationale dans le cadre du débat sur les conclusions du rapport de la commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire :

Monsieur le Président, Monsieur le Ministre,

Mes chers collègues,

Notre pays est la terre présumée de la liberté et du respect des droits de l’homme et la question de l’indépendance de la justice prend une résonnance particulière d’exigence. La commission d’enquête sur les obstacles à l’indépendance de la justice a conclu ses travaux par 41 propositions. Elles appellent les observations du garde des Sceaux et une réunion à ce sujet avec les membres de la commission et au premier chef le président et le rapporteur, serait utile pour prolonger cet échange.

Que dire, sinon que cette commission d’enquête, au-delà des affaires politico-judiciaires dont les médias se sont emparés, dresse le même constat et tend vers les mêmes objectifs que ceux exprimés par de nombreux groupes de travail, de commissions, de conférences de consensus, d’ouvrages tous plus argumentés.

Citons le rapport dirigé par Claude Bartolone et Michel Winock dans la suite de la mission parlementaire de la précédente législature, sur les institutions, qui consacre des pages à une justice qui peine à affirmer son indépendance et qui fait l’objet de fortes attentes et de vives critiques, au pénal, mais aussi au civil.

Citons, la dernière édition de l’excellent ouvrage de procédure pénale de Serge Guinchard et Jacques Buisson.

Poser la question de l’indépendance de la justice, c’est d’abord répondre à la question de sa capacité à garantir un égal accès au service public de la justice, dans la confiance et dans la célérité. Or, le problème de la justice est son budget. Cette faiblesse se traduit par un nombre de juges et de procureurs très loin des niveaux européens et des procédures qui répondent d’abord au souci de l’économie budgétaire que de l’indépendance de la justice.

Six points sont soumis à votre attention :

1 L’indépendance de la justice exige une réforme constitutionnelle :

-Un alignement du statut des magistrats du Parquet sur celui des magistrats du siège s’impose. Cette révision constitutionnelle est « indispensable pour faire disparaitre le véritable venin de la suspicion que le statu quo entretient », selon les propos de François Molins. Un projet de loi constitutionnel vous attend Monsieur le Ministre, ne pourriez-vous pas le reprendre et permettre au Conseil supérieur de la msgistrature de se prononcer sur l’ensemble des candidatures des magistrats du siège comme du parquet. 

Le parquet se voit confier des prérogatives de plus en plus importantes . Il peut mener des enquêtes avec quasiment les mêmes pouvoirs qu’un juge d’instruction, sans le consentement de l’intéressé et la seule contrainte parfois du juge des libertés et de la détention. La loi de 2019 accentue ce mouvement au profit du procureur qui peut étendre ses enquêtes sans être obligé d’ouvrir une information judiciaire. La Cour européenne des droits de l'Homme refuse le statut de magistrat au procureur. Nous savons l’excellence des procureurs sur le terrain, et leur volonté de travailler dans l’impartialité, mais il faut revoir les procédures de nomination et de gestion des carrières et confier tout cela au Conseil supérieur de la magistrature.

2 Sans attendre cette réforme constitutionnelle, il faut mettre un terme à l’enquête préliminaire qui peut durer des années et traduit un attachement du Parquet à conserver l’entièreté du pouvoir alors que l’information judiciaire ouvre le contradictoire. Un juge de l’enquête doit être créé, à même de recueillir les demandes des parties et de décider de la prolongation d’une enquête. 

3 Les droits de la défense doivent être introduits au cœur de l’enquête préliminaire.  Il est de plus en plus difficile d’admettre que le citoyen ne connaisse rien du dossier qui l’accuse, que la décision de mesures d’instruction intrusives, « pour les besoins de l’enquête (ou de l’instruction) », attentatoires à la vie privée d’une des parties, et souvent à charge, ne puisse être conditionnée à un débat contradictoire. Poser cette question en réorganisant les rapports du parquet et de l’avocat, qui devient un acteur fort de la procédure.

4 L’indépendance et l’impartialité du magistrat dépendront d’abord de sa force personnelle et de de sa détermination à résister aux influences venues de toute part. La diffusion d’une culture déontologique au soutien de cette impartialité est bien admise par ces magistrats au travers de la réflexion générée par les déclarations d’intérêt. Elles doivent comporter des éléments d’information similaire à ceux demandés aux magistrats administratifs.

5 Les affaires pendantes au Parquet national financier posent la question des remontées d’informations du Parquet au Ministre. Ces remontées d’information sont une nécessité politique. En revanche, lesdits documents doivent avoir un statut et un cheminement identifié jusqu’à leur destruction.

6 Le taux élevé des dépôts de plainte classées sans suite interroge. Il résulte des chiffres clés de la Justice publiés en 2020, que 64% des affaires reçues sont classées « non poursuivables ». La question de l’efficacité et de la protection attendue de la justice dépasse ici la question de son indépendance mais participe de la défiance. Nous y reviendrons.

En conclusion, le pénal dont il a été fortement question lors des auditions, ne doit pas nous faire oublier que la justice du quotidien - la justice commerciale, les prud’hommes, la justice des mineurs et la justice des pauvres dont parle Pierre Joxe - doit aussi être interrogée par ces préoccupations d’indépendance et d’impartialité. La responsabilité du juge dont il a été peu question ici, comme l’exigence qui entoure son office dès lors qu’il est source de droit, sont indissociables de celles de l’indépendance et de l’impartialité qui nous ont préoccupés dans le cadre de cette enquête.

Je vous remercie Monsieur le garde des Sceaux des réponses que vous voudrez bien nous apporter.

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