Les deux projets de loi sur les mesures d’urgence pour face faire à l’épidémie

Les deux projets de loi sur les mesures d’urgence pour face faire à l’épidémie

I/ Le projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 a été examiné par le Sénat. Il est débattu ce jour à Assemblée nationale. Il comporte quatre titres et 13 articles. Vous trouverez ici l'avis rendu par le Conseil d'Etat. 

Le titre 1er porte sur les dispositions électorales qui organisent le second tour des élections municipales, prorogent le mandat des élus dans les collectivités où il faudra un second tour et tirent les conséquences pour les organes délibérants des EPCI. 

Le titre 2 instaure un Etat d’urgence sanitaire, calqué sur l’état d’urgence découlant de la loi de 1955, mais avec des pouvoirs nettement plus étendus et moins contrôlés.

Le titre 3 prévoit toutes les mesures d’ordre économique, sanitaire, sociale et de fonctionnement de certaines institutions publiques en matière d’adaptation à la lutte contre l’épidémie et à ses conséquences. Il s’agit pour l’essentiel d’une très large habilitation au titre de l’article 38 de la Constitution.

Le titre 4 prévoit des mesures de contrôle parlementaire afin de contre-balancer l'extension des pouvoirs de l'exécutif en période d'état d'urgence sanitaire. 

Le texte a connu de très importantes modifications entre sa version avant Conseil d’Etat et la version finalement adoptée par le Sénat, passant ainsi de 21 à 13 articles et voyant le titre 2 sensiblement retouché et codifié. Le texte est examiné ce jour à l'Assemblée nationale pour adoption définitive. 

  • Titre 1er – Les dispositions électorales :

L'article 1er déroule le mode d'emploi du report du second tour des élections municipales et de ses conséquences. 

Le second tour des municipales est reporté « au plus tard » au mois de juin 2020. Sa date sera fixée par décret. D'ici le 10 mai 2020, le gouvernement doit remettre au Parlement un rapport du conseil scientifique de gestion de la crise liée au coronavirus, statuant sur la possibilité d'organiser les élections à cette échéance.

Le texte a été modifié par le Sénat :

Les électeurs devront être convoqués par décret au moins un mois avant le jour du scrutin du second tour. Les déclarations de candidature sont déposées au plus tard le mardi 31 mars 2020 à dix-huit heures. Elles peuvent être déposées par voie dématérialisée. Celles déjà déposées avant le 17 mars restent valables sauf demande de modification.

Les conseillers municipaux qui ont été élus au premier tour ne seront installés qu'à compter d'une date fixée par décret au plus tard en juin et selon l'état de la situation sanitaire évalué sur la base des recommandations du rapport scientifique prévu par la loi. Les conseillers municipaux et communautaires en fonction avant le 1er tour demeurent donc en fonction jusqu'à cette installation. 

Pour les EPCI dont au moins un membre n’a pas vu son conseil municipal intégralement renouvelé, le président et les vice-présidents en exercice à la date du premier tour sont maintenus dans leurs fonctions s’ils conservent le mandat de conseiller communautaire, leurs indemnités restant inchangées. Dans le cas contraire, le président serait remplacé par l’un des vice-présidents dans l’ordre de leur nomination ou, à défaut, par le conseiller communautaire le plus âgé ; les vice-présidents ne seraient pas remplacés.

Dans les EPCI intégralement renouvelés à l’issue du 1er tour, il n’y a pas de conseil d’installation tant que la situation sanitaire ne le permet pas et jusqu’à la date fixée par le décret précité. Dans l’intervalle, le président et les vice-présidents en exercice à la date du premier tour resteront en fonctions, conformément au droit commun et même dans le cas où ils ne seraient plus membres du conseil communautaire.

Le mandat des représentants d’une commune, d’un EPCI ou d’un syndicat mixte fermé au sein d’organismes de droit public ou de droit privé, en exercice à la date du premier tour, est prorogé jusqu’à la désignation de leurs remplaçants par l’organe délibérant.

Allongement de la durée de la période de propagande électorale avec date d’effet au 1er septembre 2019 pour tenir compte du décalage du second tour. Le compte de campagne des candidats présents au second tour doit être déposé à la CNCCFP, au plus tard, le neuvième vendredi suivant ce second tour. Le délai est inchangé pour les candidats éliminés au 1er tour, soit le dixième vendredi suivant celui-ci (un report de la date est proposé par notre groupe).

Les conditions d’installation des conseils municipaux élus au 1er tour sont modifiées :

-le conseil municipal peut se réunir, si besoin, en dehors de la commune, dans un lieu permettant de préserver la santé des élus et des agents ;

-le quorum des présents est fixé à un tiers des membres du conseil municipal, contre la moitié aujourd’hui ;

-les conseillers municipaux peuvent détenir deux pouvoirs chacun, contre un seul en l’état du droit.

-possibilité d’un vote par correspondance papier pour la première réunion des conseils municipaux.

L’article 2 habilite le Gouvernement à prendre plusieurs mesures par ordonnance en vue de l’organisation pratique du second tour des élections municipales.

  • Titre 2 – L’Etat d’urgence sanitaire :

Les articles 4 à 6 visent à instaurer un nouveau dispositif d’état d’urgence « sanitaire », à côté de l’état d’urgence de droit commun prévu par la loi du 3 avril 1955, afin de poser les bases légales sur lesquelles reposent les mesures prises récemment. Cet état d’urgence sanitaire permettrait au Gouvernement d’adopter durant une période déterminée certaines mesures restrictives des libertés aux fins de lutter contre la propagation d’une épidémie. 

Des modifications votées par le Sénat sont de nature à répondre aux critiques formulées et à la nécessité d’un contrôle parlementaire, tel que nous l’avions mis en place pour l’état d’urgence voté dans la suite des attentats terroristes.

  • mise en place d’un dispositif de contrôle parlementaire 
  • énumération  de manière limitative des mesures pouvant être prises dans le cadre de ce régime 
  • date butoir à laquelle le régime de l’état d’urgence sanitaire disparaît de notre système juridique. Cette date est fixée au 1er avril 2021.

L'article 5 crée et codifie l'état d'urgence sanitaire dans le code de la santé publique. 

L’état d'urgence sanitaire peut concerner une partie ou tout le territoire (outre-mer compris) "en cas de catastrophe sanitaire, notamment d’épidémie mettant en péril par sa nature et sa gravité, la santé de la population". Il est déclaré par un décret en conseil des ministres, sur le rapport du ministre de la Santé et des Solidarités. La validité du décret est de un mois. Au-delà de cette durée, le régime  ne peut être prorogé que par la loi qui en fixe la durée. A ce stade la durée est de deux mois, soit une application jusqu'au 19 mai. 

Le Premier ministre peut prendre par décret des mesures générales «limitant la liberté d’aller et venir, la liberté d’entreprendre et la liberté de réunion et permettant de procéder aux réquisitions de tout bien et services nécessaires". Il peut s'agir de mesures de confinement à domicile. Mais, le projet de loi reste trop flou quant aux mesures concrètes qui pourraient être prises. 

Le ministre chargé de la santé peut, par arrêté, fixer les autres mesures générales et des mesures individuelles. Le Premier ministre et le ministre de la santé peuvent habiliter le représentant de l’Etat dans le département à prendre les mesures d’application nécessaires, y compris individuelles. 

Lorsque l'état d'urgence sanitaire est déclaré, "un comité de scientifiques" est immédiatement réuni. Ce comité rend public périodiquement son avis sur les mesures prises en vertu de la situation d'urgence. (Il est demandé que ces avis soient publics).

Des sanctions sont prévues pour les personnes qui ne respecteraient pas les mesures de réquisition prise sur le fondement de l'état d'urgence sanitaire : peine de six mois d'emprisonnement maximum et de 10 000 euros d'amende. Le non-respect des autres mesures serait puni d'une amande de 135 euros. 

  • Titre 3 – Les mesures d’urgence économique et d’adaptation:

Les mesures d'urgence économique et d'adaptation sont consacrées de l'article 7 à l'article 11

L'article 7 habilite le Gouvernement à prendre par ordonnances dans sept domaines :

Domaine 1: Conséquences économiques et financières de l'épidémie pour les entreprises et l'emploi

Outre les aides directes et indirectes aux entreprises, l’habilitation prévoit notamment la possibilité de déroger à certains droits sociaux conventionnels pour les entreprises des secteurs nécessaires à la sécurité de la nation ou à la continuité de la vie économique et sociale (congés payés, repos dominical et hebdomadaire, durée de travail, etc.). 

(La question des congés payés dans le cadre de ce projet de loi d'urgence est totalement inappropriée et nous examinerons à nouveau ce point à l’Assemblée nationale). 

- Domaine 2: Conséquences administratives et juridictionnelles

L’habilitation permet de déroger aux règles de délais des procédures administratives et juridictionnelles, de composition, de réunion et de décision des instances administratives ou des personnes morales, ainsi que d’aménager les conditions de tenue des gardes à vue et des détentions provisoires.

- Domaine 3: Conditions d'accueil et de garde du jeune enfant

L’habilitation permet d’étendre provisoirement le nombre d’enfants que peut garder un.e assistant.e maternel.le et de définir des modalités particulières d’information des familles sur l’offre de garde disponible.

- Domaine 4: Continuité de l'accompagnement des peronnes âgées, handicapées, desmineurs et majeurs protégés et des personnes pauvres

L’habilitation permet d’adapter les conditions d’organisation et de fonctionnement de l’établissement ou du service et de dispenser des prestations ou de prendre en charge des publics destinataires figurant en dehors de leur acte d’autorisation. Elle permet également de déroger aux dispositions relatives aux conditions d’ouverture ou de prolongation des droits ou de prestations aux personnes en situation de handicap, aux personnes en situation de pauvreté, notamment les bénéficiaires de minima et prestations sociales, et aux personnes âgées.

-Domaine 5: Continuité des droits sociaux et de l'accès aux soins et aux droits

L’habilitation permet d’adapter les conditions d’ouverture, de reconnaissance ou de durée des droits relatifs à la prise en charge des frais de santé et aux prestations en espèces des assurances sociales ainsi que des prestations familiales, des aides personnelles au logement, de la prime d’activité et des droits à la protection complémentaire en matière de santé.

Domaine 6: Continuité de l'indemnisation des victimes

L’habilitation permet d’adapter les règles d’instruction des demandes et d’indemnisation des victimes par l’Office national d’indemnisation des victimes d’accidents médicaux et par le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante.

- Domaine 7: Continuité du fonctionnement des collectivités territoriales et de leurs établissements publics locaux.

L’habilitation permet de déroger aux règles et aux délais régissant les conditions de délibération et d’approbation des organes délibérant, notamment s’agissant des documents budgétaires et des taux d’imposition et de délégation de pouvoir de l’assemblée délibérante au maire ou président d'EPCI. 

L'article 8 prolonge de quatre mois les délais d’habilitation pour prendre des ordonnances lorsqu’ils n’ont pas expiré à la date de publication de la loi et les délais de dépôt des projets de loi de ratification. Cette prolongation vise notamment les ordonnances pour lesquelles une concertation est nécessaire, concertation qui ne peut pas se tenir dans le contexte actuel.

L'article 9 proroge les mandats échus depuis le 15 mars 2020 ou qui viendraient à l’être d’ici au 31 juillet 2020 des chefs d’établissements et des membres des conseils des établissements d’enseignement.  

L'article 10 habilite le Gouvernement à prolonger par ordonnance la durée de validité des visas de long séjour, titres de séjour, autorisations provisoires de séjour, récépissés de demande de titre de séjour ainsi que des attestations de demande d’asile qui ont expiré entre le 16 mars et le 15 mai 2020, dans la limite de cent quatre-vingt jours.

L'article 11 autorise le président du Centre national du cinéma et de l’image animée à réduire la période d'exploitation en salle des oeuvres cinématographiques projetées le 14 mars 2020, afin qu’intervienne plus rapidement leur exploitation sur les autres médias.

  • Titre IV - Contrôle parlementaire:

L'article 12 vise à porter la durée des commissions d’enquête en cours de six à huit mois. 

L'article 13 vise à vise à instaurer un contrôle parlementaire effectif sur l’ensemble des mesures du projet de loi.

II/ Le projet de loi organique

Le projet de loi organique ne comprend, pour sa part, qu'un seul article qui concerne la gestion des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC). Concrètement, cet article réorganise la procédure pour pallier l'impossibilité, à raison de l’épidémie de covid-19, pour les juridictions de se réunir en formation collégiale, en prévoyant une suspension jusqu'au 30 juin 2020 :

  • du délai de trois mois de transmission des QPC par le Conseil d’État et la Cour de cassation ,
  • du délai de trois mois dans lequel le Conseil constitutionnel statue sur une question transmise.

Ce texte n'est pas satisfaisant en l'état. Il s'agit de mettre en place un état d'urgence sanitaire qui ne peut concerner que la situation actuelle en lien avec le coronavirus. Par ailleurs, les mesures pouvant être prises par le Gouvernement sont par  nature attentatoires aux libertés fondamentales. Il importe donc de mettre en place un contrôle parlementaire et bien évidemment juridictionnel, de nature à protéger les citoyens de dispositions excessives et disproportionnées pouvant être prises. 

C'est dans ce cadre que j'ai déposé ce jour 11 amendements, repris par mon Groupe, que vous pouvez consulter ici.

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